mardi 31 décembre 2024

Les poches pleines, les poches vides (par Jean-Pierre Andrevon)

 Jean-Pierre Andrevon dirige les chroniques de l'Ecran fantastique et nous livre une très intéressante chronique de la novella de François Manson : Les poches pleines, les poches vides.

– La lettre de l'écran fantastique –

Banlieue de Mexico. Inès Gonzalès, 37 ans, parait être une vieille femme, épuisée qu’elle est par les dizaines de tumeurs cancéreuses que le docteur Izamari lui implante régulièrement, à la recherche d’un sérum d’immunisation et de régénération. Elle accepte, pour gagner les quelques pesos que lui vole son ivrogne de mari. Mais d’autres crapules surveillent ces expériences qui, si elles portaient leur fruit, pourraient rapporter gros. Un jour Inès est enlevée, mais elle parvient à s’échapper, et doit alors se cacher. Pour constater que ses douleurs s’estompent, qu’elle rajeunit, jusqu’à retrouver ses vingt ans, avec des pouvoirs décuplés. Mais ceux qui ont cherché à la capturer pour en faire leur cobaye n’ont pas leur dernier mot… Sur un sujet très classique, Les poches pleines, les poches vides, novella de François Manson, qui s’ouvre sur un naturalisme sans fioriture pour s’évader vers le Noir et la SF (discrète) est une jolie réussite en mineur. 


Occasion de jeter un œil sur la jeune maison d’édition qui l’accueille, Blogger de Loire, sise à Orléans, et que dirige Bernard Henninger, lui-même auteur et qui, nul n’étant mieux servi que par soi-même, s’y édite. Ainsi de son dernier ouvrage, Électrons libres, gros Planet Opera situé dans le système Tayangshi, ou l’auteur nous présente une civilisation de lézards très précisément décrite avec un vocabulaire inspiré du chinois, qui mérite même un abondant glossaire. À suivre...

Jean-Pierre Andrevon



Voyages en uchronie & ailleurs (par Pascal J. Thomas)

Continuons avec la chronique de 

Voyages en uchronie & ailleurs

écrite par Pascal J. Thomas dans la revue : 

Si vous êtes tant soit peu au fait du milieu de la SF francophone, il est presque certain que vous connaissez le nom de Jean-Jacques Régnier, décédé fin 2022 ; plus encore, si vous êtes lecteur de KWS — hypothèse assez plausible si vous avez ces lignes sous les yeux — vous êtes obligé de le connaître, puisqu’il signa une demi-douzaine de chroniques dans nos colonnes (et, un jour, une lettre de lecteur courroucée). On tiendra pour excusable que vous soyez moins au courant de son œuvre littéraire, ou du moins, je cherche à trouver des excuses pour ma propre ignorance en la matière : la quinzaine de nouvelles qui composent ce recueil sont parues entre 1994 et 2022, pas avec une fréquence frénétique donc, dans des supports respectables, mais souvent semi-professionnels (Solaris, Galaxies, Géante Rouge, Yellow Submarine, Le Nouvelliste), et en tout état de cause des supports auxquels je ne prête pas assez attention (comme le Fiction des Moutons Électriques). Son œuvre était donc largement passée sous mes radars, même si je garde un souvenir aussi vif qu’agréable de la représentation à la convention de Valbonne, en 2021, de la pièce Nul n’est censé ignorer le chat, qu’il avait écrite avec Jean-Jacques Girardot.

C’est dire si l’initiative éditoriale de Bernard Henninger, aidé par Mireille Meyer, Jean-Jacques Girardot, André-Francois Ruaud, et d’autres, est bienvenue.

Rassemblées, les nouvelles de Régnier donnent une idée, nécessairement imparfaite, de sa culture (immense) et de son humour (engagé). Elles frappent aussi par la richesse de leur style.

Commençons le voyage par ailleurs. Tout n’est pas nouvelle dans ce recueil, on trouve bien entendu une brève biographie de l’auteur, des pré- et postfaces, mais aussi une biographie, parfaitement non-fictive, de Reno, peintre d’origine polonaise active en France surtout entre les deux deux guerres mondiales. Je Hais les rédacteurs est aussi un article, inédit, parodique, et chronologiquement retors : se présentant comme une chronique de livre de la grande époque du Fiction des années 1970, il étrille pour ses fautes de logique extrapolative un imaginaire roman qui présente les années 2000 telles que nous les connaissons désormais. L’argument est, en fin de compte, familier — la science-fiction envisage toujours un futur qui ne sera jamais — et le texte s’essouffle. Mais c’est plaisant, tout comme l’est Dis, Grand-Mère ! qui, sous forme de dialogue entre une I.A. et son petit-fils obligé par son professeur d’écrire un texte de science-fiction, analyse les failles de pensée du paragraphe de départ qui lui est imposé.

Plus inclassable, et plus fanique, le reportage imaginaire sur la convention de Bergerac la situe en 2021 (elle était prévue cette date et a été reportée en 2022). C’est doublement poignant, parce que Joseph Altairac, qui venait de décéder en septembre 2020 lors de la rédaction du texte, y est mis en scène vivant ; et que Jean-Jacques Régnier lui-même était, lors de la vraie convention de Bergerac en août 2022 déjà dans le coma suite à son AVC. Voilà pour Régnier commentateur du genre. Mais si on lit son recueil, ce sera pour ses textes de fiction, et il n’en manque pas.

Une première série de trois nouvelles (Ernest et les cas métaphysiques, Charge utile et Retraite à Saint-Amédée relèvent du space opera humoristique, et mettent en scène (plus ou moins explicitement) Raymond, commerçant de l’espace et contrebandier sur les bords. On jurerait parfois lire du Kevin Ramsey, mais cela se hausse souvent au niveau du maître de ce dernier, Robert Sheckley, avec quelques clins d’œil bien sentis aux méfaits des milliardaires.

On trouvera aussi une poignée de pirouettes (Le Sujet, BUG !, Le Facteur), qui témoignent plutôt de la capacité de l’auteur à se glisser dans des formes en vogue. Immortels est plus amusant, même s’il est trop facile de se moquer des académiciens de tout poil.

Mais le temps, en long, à rebours et en travers, reste le sujet dominant du recueil. Là encore, Régnier ne répugne pas à l’hommage ; Force de vente est un hommage à The Very Slow Time Machine de Ian Watson, et conclut pareillement à l’inanité de l’appareil. Nul n’est censé ignorer le chat est par contre un brillant exercice de cette logique absurde qui préside aux paradoxes temporels, épicé d’une pincée de raillerie des procédés juridiques des compagnies privées. C’est une pièce ; il faut la voir jouée, mais j’avoue que lire le texte a posteriori m’a aidé à mieux la comprendre, car les répliques fusent vite. Le plus beau voyage temporel que nous ait composé Régnier restera cependant ce Menuetto da capo al fine où le narrateur et voyageur du temps séjourne à Vienne, rencontre Mozart, et sera bien entendu surpris par un changement dans le cours de l’Histoire qu’il a sans doute involontairement déclenché. Régnier montre l’étendue de sa culture musicale, et introduit un retournement du schéma classique que je vous laisse découvrir.

D’uchronies à proprement parler, reste peu (mais les voyages dans le temps altèrent déjà la continuité historique). Der des Ders  est classique par son sujet, le XXe siècle court, d’une guerre mondiale à l’autre, avec l’élasticité des événements en dépit des contraintes de l’aléa. Mais c’est superbement traité. Quant à Où sont passés nos futurs ?,

cela se présente comme une série de fragments sur un écrivain imaginaire dont la théorie principale est l’absence de sens ou de logique de l’histoire, éparpillée en de constantes bifurcations. La forme suit le fond, avec ses variations permanentes sur le nom, les œuvres ou la bio de l’auteur. C’est de l’uchronie en action, et on peut attraper un torticolis mental si on essaie de suivre tous les virages.

Bref, on se prend à regretter que Jean-Jacques Régnier ait autant fait pour notre communauté, comme secrétaire du groupe Remparts, comme organisateur d’une excellente convention (Aubenas en 2013), comme anthologiste, comme membre de la rédaction de Fictions… et qu’il ait aussi peu écrit. Mais aucun regret ne sera pardonnable si vous ne lisez pas au moins ce recueil.


Pascal J. Thomas



mardi 24 décembre 2024

« Les poches pleines les poches vides » vue dans Bifrost n° 116


AU TITRE DES SURPRISES DE L'ANNÉE, REVENONS SUR L'EXCELLENTE CHRONIQUE ÉCRITE PAR JEAN-PIERRE LION DANS LE BIFROST N° 116


Voici le premier livre de François Manson, déjà auteur d’une vingtaine de nouvelles disséminées ici ou là dans des supports plus ou moins confidentiels : une novella, ce format imposé depuis peu par Le Bélial' et sa collection « Une heure-lumière ». Au Mexique, dans le proche avenir, les plus pauvres servent de réservoir pour l’industrie pharmaceutique — une sorte de prostitution médicale. Ainsi, Inès Gonzalez « élève » des cancers qu’on lui implante à des fins aussi mystérieuses que profitables aux ultra-riches. Alors qu’elle n’a pas encore quarante ans, elle est au bout du rouleau. D’ailleurs, le Dr Izamari, qui l’exploite, lui signifie que ce contrat qui prévoit que tout le matériel génétique produit restera la propriété de la société signataire, sera le tout dernier. Mais un tout dernier fort bien rémunéré. Aussi met-elle à gauche ce qu’elle peut afin d’éviter que Lucho, son mari qui la bat comme plâtre, n’aille tout boire. Après un rapt et une opération de boucherie à vif menée par un laboratoire concurrent, Inès est sauvée de justesse par son exploiteur, exclusivement soucieux de préserver son investissement.

Or suite au traitement dont elle a été la victime, des résidus de la tumeur qu’elle « élevait » sont restés en elle… Apprenant par l’infirmière qui la soigne qu’elle va être tuée et vivisectée, Inès doit fuir. Elle ne tardera pas à se découvrir transhumaine…

Un transhumanisme qui est la toile de fond du récit de François Manson, qui rejoint des textes tels que 2054 de Elliot Ackerman et l’amiral James Stavridis, Upgrade de Blake Crouch ou La Musique du sang de feu Greg Bear. Manson est bien plus court, et surtout beaucoup moins technique que ses confrères américains ; plus facile d’accès. La civilisation est un corpus de savoirs et de savoir-faire dont le dessein est d’optimiser le potentiel de survie de l’espèce humaine. En ce début de troisième millénaire, l’amélioration du potentiel humain est en voie d’intériorisation par des moyens biogénétiques, comme ici, ou numériques par cyborgisation. Des recherches qui nécessitent des investissements colossaux. Ceux qui les font, tel Elon Musk, entendent bien en voir le retour.

Il faut autant que possible minimiser les couts, ce qui, comme dans ce texte, peut conduire à des expédients pour le moins dégueulasses. Le progrès profite à tout le monde, mais à certains plus qu’à d’autres, et surtout plus vite. Le présent récit met en scène cet espoir que, si les ultra-riches investissent avant tout pour eux-mêmes, la complexité d’un monde chaotique finira par faire fuiter le progrès au profit de tous. Bien sûr, il y a un prix à payer…

François Manson donne un premier livre qui, outre qu’il offre matière à réflexion sur les vraies questions qu’il convient de se poser aujourd’hui, est d’une lecture aisée et agréable, où l’action est menée tambour battant et où de vastes ellipses shuntent tout le dispensable. À découvrir.

Jean-Pierre Lion

mardi 3 décembre 2024

À Paraître : « Trou d'air » d'Alain Blondelon

 

– © Stayly Dompierre

Trois nouvelles et une novella
science-fiction, 
de cape et d'épée,
fantaisie historique
et fantastique
d'Alain Blondelon